Jusqu'où sommes-nous allés trop loin ?

Par Dominique Parizel

En nous imposant l'humilité de reprendre notre juste place au sein de la nature, l'écologie nous intime également de "penser global". Ce n'est pas forcément un paradoxe. Ainsi, notre éminent collaborateur Jean-Pierre Gratia, embrassant dans un brillant effort de synthèse toute l'aventure de la vie sur Terre, n'a d'autre ambition que de nous rendre plus lucides face à l'immense vanité des entreprises et à la crédulité humaines, de nous ramener à nos véritables responsabilités d'êtres minuscules - et, paraît-il, doués d'intelligence - que nous sommes et qui ne sont rien en-dehors du monde, génial de beauté et de diversité, où nous sommes apparus et qui nous entoure… Mettant simplement en exergue un aphorisme terrible de Jacques Monod - si vous allez trop loin, vous n'irez nulle part -, il nous prévient, sans jamais trop endosser le costume de celui qui sait, que tout cela ne tient vraiment plus qu'à un fil. Une évidence qu'au fond de nous-mêmes, intuitivement, nous ne percevons évidemment que trop bien…

Il nous met aussi incidemment en garde contre certains axiomes qui pourraient sommeiller au fond de nos têtes. L'évolution humaine, par exemple, n'a pas trouvé son terme en cette époque formidable qui est la nôtre ; elle se poursuit toujours inexorablement - une réduction persistante de l'os maxillaire en témoigne, par exemple, faisant la fortune des orthodontistes - et des caractéristiques physiques inhabituelles pourraient ainsi apparaître à la faveur d'un réchauffement climatique persistant. Le fait culturel, quant à lui, est susceptible de constituer un facteur de sélection, l'évolution culturelle étant liée à l'évolution de l'activité cérébrale en termes de transmission de savoirs et d'apprentissages. L'alimentation, dans ce cadre, joue un rôle important ; nous savons, par exemple, que l'hominidé du Paléolithique - ses caries dentaires étant rares - consommait plus de vitamines que l'homme moderne et était probablement "en meilleure santé"… De nos jours, l'industrialisation de l'alimentation contribue grandement à la modification du régime alimentaire : outre le surpoids, les effets néfastes d'une mauvaise alimentation sont nombreux mais la gastronomie, elle-même, ignore souvent les contre-indications qui propose encore des fruits au dessert alors qu'il vaudrait mieux les consommer en-dehors des repas pour éviter les fermentations intestinales…

Dans le même ordre d'idées, nous nous efforçons aussi d'ignorer que le microbe est souvent un ami ! Notre microbiote, entité vitale pour notre organisme, comprend plus de quatre cents espèces de bactéries contribuant au bon fonctionnement de notre système digestif, de notre immunité et de notre détoxification ; il permet aussi de résister à la colonisation de nos intestins par les pathogènes, régule la sérotonine qui intervient dans des situations de stress, d'anxiété, de dépression, etc. Evoquant encore longuement le fonctionnement de notre cerveau et l'importance de nos horloges biologiques, le non-sens scientifique des thèses racistes et sexistes, l'évolution de la démographie et des infections virales humaines, ainsi que ses doutes quant à l'usage des antibiotiques, Jean-Pierre Gratia achève de brosser le tableau encore trop méconnu de l'environnement complexe de la vie sur Terre. Il dit enfin, dans un dernier chapitre, ses espoirs et ses craintes pour sa pérennité.

Force est alors de constater que les avancées espérées en termes de bio-ingénierie et d'intelligence artificielle semblent bien minces face à un mépris croissant de la nature, face à la destruction annoncée de ce qui permit et environna son émergence et son développement. Et de conclure en ces termes : "se peut-il qu'une démocratie qui ne tienne pas compte des impératifs biologiques et écologiques soit encore une démocratie ? On est loin d'une bonne politique en faveur des secteurs du savoir, de la recherche, de la pensée, du lien social, et aussi des producteurs de connaissance et de débat public…"

La vie sur Terre et son devenir,
Jean-Pierre Gratia, éditions L'Harmattan

25,50 euros - 236 pages